dimanche 15 mai 2011

[Billet] La préférence locale dans les marchés publics (Magali P.)

Il existe un problème simple, qui
appelle une solution simple :
Comment soutenir le tissu local
de PME et devenir plus économes
et écologiques : en favorisant
les producteurs locaux pour une
certaine part des marchés publics.
Sur ce point, l'UMP et le PS ont le
même avis, et le même objectif,
et pourtant, rien n'y fait ...
Il existe quelque chose d'assez
contraignant pour les élus Français
et cela s'appelle l'Union Européenne
Connaissez-vous un moyen d'améliorer le tissus économique local ? Que ce soit pour des raisons écologiques, ou économiques (activité des PME locales), les élus cherchent à permettre aux collectivités locales de plus se tourner vers les locaux pour leurs appels d'offre. Ainsi beaucoup de CO² pourrait être évité par rapport à un prestataire qui se trouverait en Allemagne ou en Pologne, et le tissus local serait soutenu par la puissance publique.

Nous relayons aujourd'hui un article écrit par Magali P., Juriste en marchés publics, sur l'impossibilité d'instaurer une préférence pour les fournisseurs locaux et les PME dans l'attribution d'un marché public. Ce que je trouve merveilleux dans cet article que nous vous offrons aujourd'hui, c'est qu'on comprend que dans le cadre du droit communautaire, aucun des deux camps (UMP et PS), qui ont pourtant des objectifs communs dans cette bataille, n'arrive à son objectif.

Cet article fait suite à la publication du projet du parti socialiste pour 2012, en particulier à la lecture du point n°9 du projet (point 1.2.3 de l'intégrale du projet) : "Pour que notre alimentation soit plus saine et pour que les agriculteurs vivent de leur travail, nous orienterons les achats alimentaires des collectivités locales vers l’agriculture et la pêche de proximité (lait et laitages, viandes, fruits et légumes)". En effet, quelqu'un qui connait un tout petit peu le droit communautaire aura déjà tilté à l'énoncé de la phrase, et pourtant ...



La préférence locale dans les marchés publics: quand les réformes ont le choix entre l'inoffensif ou la transgression du droit communautaire

Le 13 avril dernier se tenaient les premières assises parlementaires sur la restauration collective. A cette occasion, Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture a plaidé pour l'introduction d'un nouveau critère dans les procédures d'attribution des marchés publics: la proximité.

Objectif: valoriser la proximité d'un acteur local dans le cadre de l'attribution d'un marché public. 

Le gouvernement a introduit dans le code des
marchés publics la possibilité de "discrimination
positive" en faveur de certains prestataires, pensant
ainsi donner un coup de pouce aux acteurs locaux,
mettant ainsi la France en contradiction avec le droit
communautaire européen.
Cette intention ne date pas d'hier, c'est elle qui sous-tendait deux dispositions discrétement introduite dans notre droit national lors de l'adoption en juillet 2010 de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche.
Au détour des actions à mettre en œuvre dans le cadre du programme national pour l’alimentation figure « le développement des circuits courts et l’encouragement de la proximité géographique entre producteurs et transformateurs », ainsi que « l’approvisionnement en produits agricoles locaux dans la restauration collective publique comme privée ».

Or, une telle démarche nécessiterait de réviser profondément l'article 53 du Code des marchés publics
article relatif à l'attribution des marchés, celle-ci se se heurtant aux grands principes de la commande publique, tout droit issus de l'objectif communautaire de libre concurrence.

DIRECTIVE 2004/18/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL
du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services
« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d'égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence.» (1).

Dans les faits, il semble que la voie choisie par le gouvernement pour promouvoir "l’approvisionnement en produits agricoles locaux" soit moins ambitieuse qu'il n'y paraît, tout en étant cependant peu compatible avec le droit communautaire.

Il faut savoir que l'article 53 du Code des marchés publics comporte déjà un droit de préférence au profit de certains entreprises "à égalité de prix ou à équivalence d'offres" (2).
C'est ce droit de préférence que le gouvernement entend désormais élargir à de nouvelles entités: les exploitants agricoles et sociétés concessionnaires d'un établissement public pénitentiaire (3).
Pour autant le ministre de l'Agriculture ne s'y trompe pas. L'été dernier, promettant aux parlementaires un décret réformant l'article 53 – et ce, avant la fin 2010 -, il reconnaissait également que « ce sera très lourd, car modifier les règles de passation des marchés publics sur l’ensemble de l’alimentation n’est pas une petite affaire ».
Ainsi le calendrier serré n'a pas été et ne sera pas tenu, le ministère de l'Economie indiquant qu'« il n'apparaît pas opportun d'étendre le dispositif existant», une question de compatibilité du droit de préférence avec le droit communautaire (4) ayant été soulevée devant la CJCE (5).

Nous sommes donc très loin de l’approvisionnement en produits agricoles locaux souhaité par loi de modernisation de l'agriculture...

Derrière l'enjeu de la proximité, revendiquée par les partis des deux bords, se tiennent en réalité deux objectifs:
  • faciliter l'accès des PME à la commande publique (6),
  • encourager l'achat durable, écologiquement responsable (7).

La proposition n°9 du projet
du PS semble inapplicable aux
yeux du droit communautaire,
et pourtant, elle ne l'est pas, elle
est simplement insignifiante
Ainsi, au détour du projet du Parti Socialiste pour 2012 figure la proposition suivante: « En lien avec les collectivités territoriales, nous encouragerons l'agriculture durable, notamment l'agriculture biologique. Les circuits courts, du producteur au consommateur local, seront favorisés à travers des mesures concrètes et expérimentées avec succès par plusieurs régions et départements à direction socialiste. Nous réorienterons la commande publique (État, collectivités territoriales, entreprises publiques) vers l'achat de produits de l'agriculture de proximité (lait et laitages, viandes, fruits et légumes). »

Ne vous y trompez pas, il ne s'agit pas là de promettre, à l'instar du gouvernement, un droit de préférence pour les produits locaux. Les seules marges de manœuvre laissées par le droit communautaire dans la prise en compte du développement durable dans la commande publique ont été largement épuisées par la réforme du Code des marchés publics de 2006.
En effet, les acheteurs publics peuvent désormais:

Ces deux moyens doivent cependant être justifiés par l'objet du marché. En outre, l'acheteur public doit toujours veiller à ce qu'ils ne puissent être regardés comme défavorables - voire dissuasifs - pour certains candidats potentiels. En d'autres termes, ils ne doivent pas restreindre la concurrence.

"La proximité géographique d'une entreprise,
dans le but de réduire les émissions de CO2,
ne peut être en tant que telle intégrée comme
critère de sélection
"
En aucun cas la proximité du producteur ne pourra figurer parmi les critères de sélection des offres, le localisme étant, nous l'avons vu, proscrit par le droit des marchés publics.
C'est ainsi que toutes les propositions visant à faire de la proximité géographique un critère de choix, sous couvert de critères environnementaux, se sont révélées infructueuses.
C'est pourtant une ambition souvent revendiquée par les élus locaux, comme en témoignent deux questions posées au Ministre des finances. Les réponses formulées sont sans ambiguïté: la proximité géographique d'une entreprise, dans le but de réduire les émissions de C02, ne peut être en tant que telle intégrée comme critère de sélection des offres : un tel critère présente un caractère discriminatoire au détriment des entreprises les plus éloignées (8).
C'est d'ailleurs ce qu'a confirmé très tôt la jurisprudence communautaire en considérant qu'une réglementation réservant des marchés publics aux entreprises ayant un siège social dans la région où doit être exécuté le marché était discriminatoire.

Aussi, il est inutile de préciser que toute tentative d'instauration d'une préférence nationale comme critère d'attribution dans les marchés publics est inenvisageable (9).

Par conséquent, pour favoriser l'achat local dans les marchés publics de restauration collective, les acheteurs publics ne disposeront pas d'un grand nombre de moyens.
Le Parti Socialiste le sait, et il faut ainsi un œil averti pour saisir la subtilité dans l'emploi de l'expression « produits de l'agriculture de proximité ».
En effet, la préférence locale étant prohibée par le droit communautaire, on ne saurait lire par « de proximité » un simple aliment produit dans une zone donnée mais plus strictement un aliment que l'on ne trouve que dans cette zone donnée (exemple: le Roquefort en Aveyron), autrement dit un produit endémique.
Je vous laisse le soin de réfléchir aux produits qui ne poussent que chez vous et qui représentent une part importante de votre consommation quotidienne... C'est en cela que l'on peut résumer la présente proposition du Parti Socialiste. Reste également à savoir comment il entend s'y prendre pour contraindre l'ensemble des institutions publique à cette nouvelle philosophie d'achat. Je pense ici notamment aux collectivités territoriales protégées constitutionnellement par le principe de libre administration.

Deuxième enjeu: comment favoriser l'accès des PME à la commande publique?

C'est là encore une des ambitions du Parti Socialiste pour 2012 qui milite pour un Small Business Act (10) sur le modèle américain: « En France, seuls 30% des marchés publics sont attribués à des PME. C'est pourquoi leur accès à la commande publique sera facilité, y compris au niveau européen: nous plaiderons auprès de la Commission et de nos partenaires pour la mise en place de quotas ou de référencements particuliers, comme il en existe aux Etats-Unis et au Japon ».

Sans douter de l'influence du Parti Socialiste français au niveau communautaire, une telle mesure, visant à réserver une part des marchés publics aux PME, nécessiterait une réforme en profondeur des principes liant la commande publique dans l'Union européenne, car en tout point contraire au principe de libre concurrence.

Nous en aurons bientôt la preuve: le Small Business Act "à la française" (11), introduit à titre expérimental pour une durée de cinq ans, sera-t-il renouvelé? Cela apparait peu probable vu le refus des États membres de l'Union d'introduire ce type de mesure au niveau communautaire.
Une récente réponse ministérielle laisse d'ailleurs peu d'espoir: « Il n'est pas possible, en l'état actuel du droit, de fixer des quotas de PME dans les procédures de marchés publics car une telle mesure serait contraire aux principes d'égalité de traitement des candidats et de liberté d'accès à la commande publique ». Tout est dit.

Les seuls moyens d'encourager les PME, développés par la Commission (12), et conformes au principe de libre concurrence sont: réduire les couts liés aux procédures particulières de passation des marchés publics (13), réduire la taille des marchés publics via la généralisation de l'allotissement, développer les groupements momentanés d'entreprises, etc.

Par conséquent, alors qu'il est formellement interdit, au regard du droit communautaire, de valoriser une entreprise, fut-ce par sa taille ou sa proximité avec l'acheteur public, les propositions actuelles se heurtent à une alternative peu séduisante:
  • s'engager dans la voie de la non-conformité au droit communautaire et par conséquent être boudées par les acheteurs soucieux du respect des grands principes (méthode adoptée par le gouvernement),
  • ou respecter ce dernier mais être, dans ce cas, condamnées à ne rester que des mesures vides et sans prétention (choix du Parti Socialiste).

Magali P.

Notes :
 « Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. »
(2)Les décrets du 17 juillet 1964 et du 28 novembre 1966 codifiant la réglementation applicable aux marchés publics et instituant le code des marchés publics antérieur à 2001 reprenaient en effet déjà le droit de préférence instauré précédemment au profit des sociétés coopératives ouvrières de production, des groupements de producteurs agricoles, des artisans et sociétés coopératives d'artisans et sociétés coopératives d'artistes "à égalité de prix ou à équivalence d'offres". Ce dispositif a été élargi aux "entreprises adaptées" par le décret n°2006-975 du 1er août 2006 portant Code des marchés publics actuellement en vigueur.
(6) Dans le cadre d’un contentieux à propos de l’attribution d’un marché de chèques déjeuners, le tribunal administratif de Montreuil, « ayant un doute sérieux sur la compatibilité avec le traité de l’Union européenne d’un tel droit de préférence en cas d’équivalence supposée des offres au regard du principe d’égalité de traitement garanti par ce traité », a saisi la Cour de justice de l’Union européenne sur cette question. (http://www.economie.gouv.fr/directions_services/daj/publications/lettre-daj/2010/lettre79/TAMontreuil.pdf)
(10) En 1953 fut votée par le Congrès américain une loi‐cadre pour les PME, le « Small Business Act »  qui proclame que le gouvernement doit veiller aux intérêts des PME. La « Small Business Administration », agence fédérale chargée du soutien aux PME fut alors créée. La loi impose ainsi que les marchés publics fédéraux inférieurs à 100K$ soient réservés aux PME. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Small_Business_Act)
(11) Ce dernier introduit une part de 15% des marchés "technologiques" inférieurs aux seuils communautaires réservée à des PME innovantes (Article 4 du décret n° 2009-193 du 18 février 2009 relatif aux modalités d’application de l’article 26 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=39F9C2193327D5B296EB5CEBD30175ED.tpdjo07v_1?idArticle=LEGIARTI000020285395&cidTexte=LEGITEXT000020285381&dateTexte=20110511)
(12) Adopté en juin 2008, le  « Small Business Act » pour l'Europe reflète la volonté de la Commission de reconnaître le rôle essentiel joué par les PME dans l'économie européenne (pour en savoir plus : http://ec.europa.eu/enterprise/policies/sme/small-business-act/index_fr.htm)
(13) Mesures cherchant à réduire les « coûts de transaction », résumées dans un code européen des bonnes pratiques facilitant l’accès des PME aux marchés publics (Commission Européenne 2008) faisant suite à l’adoption d’un Small Business Act européen en juin 2008.

2 commentaires:

  1. Concernant l’approvisionnement en produits agricoles locaux et son problème de compatibilité avec le droit communautaire, une attention particulière doit être portée à la situation des DOM-ROM.
    A cet égard, une réponse du ministère de l’agriculture, en date du 1er mars 2011, lie le droit de préférence de article 53 et l’objectif du "localisme" introduit par la loi de modernisation de l’agriculture.
    http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-81918QE.htm
    «[…], une circulaire du Premier ministre relative à l'exemplarité de l'État en matière d'utilisation de produits agricoles fabriqués à proximité de la zone de consommation dans les départements d'outre-mer et à Mayotte est en cours d'élaboration. Cette circulaire a pour objectif d'inciter les services et les établissements publics placés sous tutelle des préfets à utiliser régulièrement des produits agricoles fabriqués à proximité de la zone de consommation, notamment pour la restauration collective. »
    A ma connaissance, les DOM-ROM ne disposent pas d’un régime dérogatoire concernant le principe de libre concurrence dans l’attribution des marchés publics. A suivre donc…
    (Voir "zoom: des dérogations propres au droit de la commande publique" sur http://www.decision-achats.fr/Decision-Achats/Article/Outre-mer-les-achats-doivent-s-adapter-26994-1.htm).

    Magali

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  2. Dans un article publié dans la revue Contrats Publics d’octobre 2011, Pierre De Baecke s’interroge sur l’application du nouveau critère d’attribution introduit par le décret du 25 aout 2011.
    Désormais, l’article 53 du Code des marchés publics compte un nouveau critère, celui des « performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture ».
    Par ce critère, le gouvernement entend favoriser les circuits courts (disparition des intermédiaires de la chaine de distribution) afin de « rapatrier de la valeur ajoutée pour les agriculteurs » et « préserver l’environnement en limitant le déplacement des produits et le recours aux plateformes de répartition ».
    Cet objectif, louable, s’accommode cependant difficilement des règles encadrant la passation des marchés publics.

    L’analyse de l’auteur est donc très critique, comme le laisse supposer le titre qu’il a donné à son article « Le critère de la performance : le plus court circuit vers le tribunal correctionnel ? ».

    Cette disposition est à la fois juridiquement inutile et risquée.
    En effet, ajouter ce nouveau critère d’attribution se dispense pas l’acheteur public de respecter le régime juridique applicable aux critères d’attribution, à savoir :
    -       les procédures doivent respecter liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ;
    -       les critères d’attribution doivent être en lien avec l’objet du marché.
    Ainsi, s’il n’est pas en lien avec l’objet du marché, le critère présente un caractère discriminatoire et expose l’acheteur au délit d’octroi d’avantages injustifié au autrui (délit de favoritisme), issu de l’article 432-14 du code pénal.

    Conclusion : « Acheteurs publics, si votre but est de faire du favoritisme local, ne vous illusionnez pas sur la protection que ne vous octroie pas la nouvelle rédaction de l’article 53 du code des marchés publics ! »

    Magali

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