lundi 11 juin 2012

[Billet] Euro-bonds : Qu'est-ce que c'est ?

A l'heure où tous les éditorialistes emboîtent le pas à des politiciens en panne d'effets de manche pour stopper la crise et nous ressassent jours après jour qu' "il nous faut des euro obligations" (1), ou encore la possibilité de créer des projects-bonds (2), il serait temps de comprendre de quoi on nous parle.

Cette première chronique concernera donc les Euro-obligations. Les notions abordées lors de notre étude sur les différents mécanismes d'assistance aux Etats (FESF et MESF (3) ou encore le fameux MES (4)) pourront être utiles.


Petit rappel sur les obligations

Quand un Etat (ou une entreprise, ou une administration etc.) a besoin de fonds, de liquidités pour pouvoir fonctionner ou investir, une des possibilités qu'il a pour se financer est de faire appel au marché des capitaux, plus particulièrement au marché obligataire (le marché où se vendent et s'échangent les obligations). Pour ce faire, il émet des obligations (bonds), à un certain taux, que les investisseurs vont acheté en échange d'un intérêt. C'est comme cela qu'il s'endette.

Les obligations de stabilité, appelées eurobonds ou euro-obligations

C'est le 23 Novembre 2011 que la Commission Européenne publie son livre vert (5) sur "la faisabilité de l'introduction d'obligations de stabilités" (euro-obligations ou encore euro-bonds). Alors, que sont, au sens de la Commission, les euro-obligations ?

Ce sont des obligations émises de manière commune par l'ensemble des Etats de la zone euro sur les marchés obligataires. Le système est exactement le même que pour le FESF/MESF ou le MES, sauf qu'il serait ouvert à tous, et non pas seulement aux Etats en difficulté. La Commission explique qu'il y a trois approches :

  • Substitution totale des émissions nationales, assortie de garanties conjointes et solidaires : Les Eurobonds remplaceraient totalement les émissions d'obligations nationales. Les Etats arrêteraient d'emprunter sur les marchés de capitaux, alors que ce serait "l'europe" qui emprunterait pour lui. Tous les Etats seraient responsables des dettes émises et devraient payer en commun les intérêts demandés par les investisseurs : Pour faire simple, si l'Europe s'endette en tout pour 10 milliards d'euros, même si la France n'en reçoit pas un centime, elle devrait rembourser conjointement avec les autres ;
  • Substitution partielle des émissions nationales, assortie de garanties conjointes et solidaires : Cette solution est pratiquement identique à la première, mais moins large. Elle vise à ne prendre en charge qu'une partie de la dette des Etats, et ceux-ci devraient donc continuer d'emprunter sur les marchés par eux-mêmes pour une partie de leurs besoins ;

Dans l'approche "solidaire et conjointe", tous les Etats remboursent l'emprunt européen, même si ils n'en sont pas bénéficiaires, à hauteur de leurs "capacités". Les avantages en termes d'intégration européenne sont très élevés, puisque dans cet exemple, il est clair que la Grèce, qui reçoit 6 et ne rembourse rien (cas excentrique je l'avoue mais c'est pour l'exemple) ne sera pas décisionnaire dans l'utilisation de ces fonds ... faut pas charrier non plus ;-)

  • Substitution partielle des émissions nationales, assorties de garanties solidaires mais non conjointes : On se retrouve ici dans le même cas que la deuxième solutions, mais ici, les Etats membres ne remboursent que ce qu'ils ont reçu et non pas ce que les autres ont reçu. Par exemple, si l'Europe emprunte 10 milliards et que la France en reçoit 2, elle ne doit rembourser que cette partie là, et non l'ensemble des 10 milliards. Par contre, si un Etat vient à faire défaut et à ne pas pouvoir rembourser sa part, les autres sont appelés à rembourser à sa place ;

Dans l'approche "solidaire et non conjointe", chaque Etat rembourse uniquement la part dont il a bénéficié. C'est uniquement en cas de défaut d'un des Etats que les autres s'engagent à rembourser à sa place. Le seul avantage réside dans la baisse des taux d'emprunt.

Pourquoi ? Quel est l'avantage ?

  • Abaissement du coût du crédit pour les Etats les plus menacés : Selon la Commission Européenne, ces "obligations de stabilité" pourraient permettre de faire profiter les Etats membres les plus vulnérables d'une meilleure qualité de crédit (d'un taux d'intérêt plus faible) puisque ces obligations seraient émises en commun avec le reste des Etats membres (dont ceux qui ont de bonnes notes) ;
  • Consolidation du système financier européen : La Commission compte aussi sur ces obligations pour stabiliser et calmer le système bancaire et financier. En effet, les acteurs qui détiendraient de ces obligations seraient par exemple beaucoup moins sensibles à la dégradation de la note d'un Etat en particulier, puisqu'elles seraient garanties par les autres Etats. La tension sur ces produits serait bien moindre que sur les obligations nationales classiques ;
Quels obstacles et quelles conditions ?

En termes politiques, il y a deux problèmes : l'aléa moral, et les transferts de souverainetés. Aussi, il existe un problème juridique à certaines de ces approches : l'article 125 TFUE (6), dit clause de non renflouement.
  1. L'aléa moral : c'est ce phénomène qui fait que quand on sait que quelqu'un finira par payer à sa place, on n'a aucun scrupule pour faire n'importe quoi avec son argent ;
  2. Souveraineté budgétaire partagée : Pour éviter cet aléa moral, on pourrait facilement (selon la Commission) mettre en place de nouvelles mesures (dont notamment certains règlements et directives) qui tendraient à annuler cet aléa moral, notamment des mesures de surveillance et de contrôle draconiens sur les budget nationaux (ces mesures ont été en parties mises en place depuis (7)) ;
  3. Modification des traités : Les deux premières approches (où les Etats doivent rembourser l'intégralité de l'émission européenne) nécessitent la suppression de l'article 125 du TFUE, dit "clause de non renflouement", qui interdit de prendre en charge la dette d'un autre Etat.

Conclusion

Le Parlement Européen, dans une résolution du 15 février 2012 (8) donne son approbation de l'idée portée par la Commission, mais reste extraordinairement critique quant à sa mise en place. Dans l'esprit des instances européennes, cette solution doit être mise en oeuvre à moyen terme, mais devrait être précédés d'un formidable effort d'intégration budgétaire (déjà en bonne voie via la réforme de la gouvernance économique européenne depuis plusieurs années et notamment dans les derniers mois).

Enfin, la Commission estime elle-même que cette solution n'est que très partielle mais pourrait tout de même avoir beaucoup d'effets positifs, non seulement sur la stabilité de la zone euro, mais aussi dans la promotion des marchés obligataires, dans la solidité et la liquidité du marché financier européen, et enfin sur l'intégration européenne elle-même.

En attendant, seule la troisième approche du livre vert (Substitution partielle des émissions nationales, assorties de garanties solidaires mais non conjointes) serait aujourd'hui compatible avec les traités Européens et ne nécessiterait que peu de mesures dans le droit dérivé (règlements ou directives) pour arriver à contrer l'aléa moral. De plus, cela permettrait de passer par le FESF ou le MES.

Notes :
(1) EurActiv.fr, le 21/05/2012, Hollande devrait remettre les eurobonds sur la table :  http://www.euractiv.fr/hollande-remettre-eurobonds-table-article
(2) France24.fr, le 23/05/2012, Les "project bonds", l'arme consensuelle pour la croissance européennehttp://www.france24.com/fr/20120523-project-bonds-hollande-croissance-merkel-bruxelles-emploi-economie-europe-sommet-ue-euro
(3) La Théorie du Tout, Synthèse de l'étude du FESFhttp://www.theorie-du-tout.fr/2011/11/billet-le-fesf-synthese.html
(4) La Théorie du Tout, Catégorie portant sur le MEShttp://www.theorie-du-tout.fr/search/label/MES
(5) Livre vert de la Commission Européenne publié le 23/11/2011, La faisabilité de l'introduction d'obligations de stabilitéhttp://ec.europa.eu/economy_finance/consultation/stability_bonds/pdf/green-pepr-stability-bonds_en.pdf
(6) Article 125 TFUE : 
1. L'Union ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique. Un État membre ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un autre État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique.

2. Le Conseil, statuant sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut, au besoin, préciser les définitions pour l'application des interdictions visées aux articles 123 et 124, ainsi qu'au présent article.
(http://fr.wikisource.org/wiki/Trait%C3%A9_sur_le_fonctionnement_de_l%E2%80%99Union_europ%C3%A9enne#Article_125)
(7) Blog de Magali Pernin portant sur la réforme de la gouvernance économique européenne, voir #TSCG, #SixPack, #TwoPack et #PSC :  http://contrelacour.over-blog.fr/
(8) Résolution du parlement européen du 15/02/2012 portant sur la faisabilité de l'introduction d'obligations de stabilitéhttp://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2012-0046&language=FR&ring=B7-2012-0016

Voir aussi :


6 commentaires:

  1. Article clair et intéressant.

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  2. Une remarque orthographique l'adjectif "européen" ne prend pas de majuscule dans les termes "Commission européenne" "Parlement européen" "Conseil européen"... :)

    Bien à vous

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  3. Bonjour,

    j'ai remarqué vos deux derniers articles sur les bonds (euro-, project-, mais pas James). J'aime beaucoup ce côté pédagogique, avec schéma à l'appui (même si les vidéos de Barroso sont soporifiques, même quand on comprend l'anglais, mais ce n'est pas de votre faute :)).

    Accepteriez-vous de faire un partenariat, avec échange de liens avec notre site (http://www.arsin.fr) ? Nous avions déjà publié un texte commun de Liior Chamla et Magali Pernin sur la loi de 1973; accepteriez-vous que nous publiions d'autres articles (avec la source) sur notre blog ?

    Cordialement,

    Pablito Waal, pour l'ARSIN

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    1. Mon Dieu Pablito Waal je suis vraiment désolé mais je ne vois qu'aujourd'hui que vous aviez laissé ce message .. en Juin 2012 !

      Bien entendu, n'hésitez pas à reprendre nos articles, ce serait même un grand plaisir pour moi !

      Bien cordialement,

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    2. Bonjour,

      moi aussi, j'ai du retard (je vois votre réponse qu'aujourd'hui). Je vais publier prochainement les vidéos que vous avez faites sur le marché transatlantique et le FESF.

      Bien cordialement,
      Pablito Waal

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