vendredi 31 décembre 2010

Deux Déclarations pour l'Unité Atlantique (1954 et 1962).


Après avoir étudié la déclaration de Paris [1], sorte de proto-déclaration transatlantique, intéressons nous maintenant aux deux Déclarations de l’Unité Atlantique de 1954 et de 1962. Ces deux documents visaient à renforcer l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan) dans le contexte de la guerre froide. Si l’existence d’une opposition, en l’occurrence socialiste, étaient une aubaine pour les atlantistes, paradoxalement, c’est après la chute du bloc de l’est et la dissolution du Pacte de Varsovie que les liens euro-atlantiques se sont intensifiés. Ces textes doivent néanmoins être connus pour éclairer les relations euro-américaines de notre époque.


La Déclaration de l’Unité Atlantique de 1954.

Dans son numéro d’octobre 1954, la revue de Federal Union Inc., Freedom & Union, rapporte le contenu de la Déclaration de l’Unité Atlantique (« Declaration on Atlantic Unity ») :

« DANS LE BUT D'ALERTER leurs compatriotes et leurs gouvernements sur la nécessité de renforcer l’Otan, plus de 150 citoyens distingués, venus de huit nations du Pacte Atlantique, ont adopté une "Déclaration de l’Unité Atlantique". Rendue publique à la veille de la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord de la mi-octobre, la Déclaration fait remarquer que l’Otan est encore "une simple alliance militaire" alors qu’elle devait être une alliance plus complète selon ses principes originels. La déclaration exhorte donc les leaders de l’Otan à :
1. Développer l’Otan dans l'objectif d’harmoniser les stratégies politiques, commerciales et militaires des nations membres;
2. Établir un important programme commun de placement afin de baisser les barrières tarifaires, de libérer les courants monétaires et d’éliminer les restrictions au commerce, l’objectif étant d’instituer "une base économique viable pour la Communauté Atlantique et leurs alliés";
3. Par l’intermédiaire de l’assemblée législative de chaque pays membre, mettre sur pieds un comité parlementaire de l’Otan à des fins éducatives;
4. Créer une Assemblée consultative de l’Atlantique représentée par les législateurs des nations membres. Celle-ci se réunirait régulièrement pour débattre des questions d’intérêt commun;
5. Établir un Comité Économique consultatif composé d’employeurs et d’employés pour informer les institutions de l’Otan des effets de leurs politiques sur le niveau de vie des pays de l’alliance.
La déclaration se termine par une demande aux "citoyens de faire ces recommandations à nos gouvernements respectifs pour que cette expérience positive mais des plus difficiles (l’Otan) réussissent. " ».

Freedom & Union conclu en donnant une liste partielle des signataires de la déclaration. Ces derniers sont des universitaires, des chefs d’entreprises, des hommes politiques, des diplomates, des financiers, des hommes de loi, etc. D'éminentes personnalités ont signé la Déclaration de l’Unité Atlantique, parmi lesquelles :
-Côté américain : Vannemar Bush, président de l’Institution Canergie de Washington ; William L. Clayton, ancien sous-secrétaire d’États aux affaires économiques et cofondateur de l’Atlantic Union Committee (AUC) ; le général William Donovan, ancien président de l’Office of Strategic Services (OSS), dirigeant de l’American Committee on United Europe (ACUE), le général William H. Draper Jr, ancien représentant permanant des États-Unis au Conseil de l'Atlantique Nord ; Henri Ford II, président de Ford Motor Company ; le général George Marshall, ancien secrétaire d’État ; John J. McCloy, président de la Chase National Bank ; Philip D. Reed, président de General Electric Company ; Owen J. Roberts, ancien membre de la Cour suprême des États-Unis et cofondateur de l’AUC ; Elmo Roper, cofondateur de l’AUC ; Clarence K. Streit, auteur de Union Now et cofondateur de l’AUC ; Harry S. Truman, ancien président des États-Unis.
-Côté britannique : John Bailis, président du World Council of Churches ; Franck Byers, ancien président du parti libéral ; Lionel Curtis, auteur de Commonwealth of God et « fellow » de l’All souls College de l'université d’Oxford ; Lord Malcom Douglas Hamilton, vice-président de Federal Union Ltd ; Julian S. Huxley, biologiste et écrivain, directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l'Éducation, la Science et la Culture (UNESCO) ; Bertrand Russell, mathématicien et philosophe.
-Côté français : Maurice Allais, professeur d’économie à l'École Nationale Supérieure des Mines de Paris ; Michel Debré, sénateur ; Giscard d'Estaing, président de la section française de la chambre internationale du commerce ; Edouard Herriot, président d’honneur de l’Assemblée Nationale, ancien premier ministre ; Firmin Roz, écrivain, membre de l’Institute de France.

D’autres personnalités canadiennes, belges, norvégiennes, danoises et allemandes ont signé ce document. Beaucoup d'entre eux récidiveront six ans plus tard, avec la seconde Déclaration de l’Unité Atlantique.

La Déclaration de l’Unité Atlantique de 1962.

Paraphée par 242 leaders de l’Otan le 12 novembre 1962 à Paris, la nouvelle Déclaration de l’Unité Atlantique s’inscrit dans un contexte international plus que tendu. En effet, quelques jours auparavant, la crise des missiles de Cuba a plongé le monde dans la peur d’une troisième guerre mondiale de type nucléaire. La catastrophe a néanmoins été évité grâce à un Kennedy habile et ferme, et un Khrouchtchev conciliant et raisonnable. Cette crise a eu pour conséquence de persuader les atlantistes de renforcer l’Otan et les liens transatlantiques. Ainsi, la seconde Déclaration de l’Unité Atlantique dresse une liste de sept étapes en vue de créer une union solide à partir de l’Otan.

Les 242 signataires viennent de 14 pays de l’alliance atlantique. Parmi eux, 42 ont exercé des fonctions au sein de leurs gouvernements ; 11 sont d’anciens premiers ministres ; 84 sont membres de leur parlement national, incluant six présidents et speakers. Les autres signataires sont des éditeurs importants, des journalistes, des chefs d’entreprises, des dirigeants syndicaux, des présidents d’universités et des professeurs. Les signataires de la première Déclaration ont par ailleurs joué un rôle prégnant dans la création de la conférence parlementaire de l’Otan en 1955, de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) en 1960-61 de l’Atlantic Institute for International Affairs et de l’Atlantic Exploratory Convention en janvier 1962.

Voici le texte de la Seconde Déclaration de l'Unité Atlantique :

« NOUS, LES CITOYENS SOUSSIGNÉS de Belgique, du Canada, du Danemark, de France, d’Allemagne, de Grèce, d’Islande, d’Italie, du Luxembourg, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Turquie, de la Grande Bretagne et des États-Unis, adressons cette APPEL À L’UNITÉ ATLANTIQUE à nos compatriotes et à nos gouvernements.

Nous croyons :
Que la souveraineté individuelle et la liberté dans le cadre de la loi sont les plus précieux legs de l’humanité.
Que le bastion de la liberté humaine est la Communauté Atlantique.
Que ce bastion est confronté à de sérieuses menaces.
Que c’est seulement par notre unité que nous pourrons préserver les libertés dont nous jouissons, et que notre exemple sera suivi par toute l’humanité. Le Communisme International croit à l’unité par la force ; son objectif est une tyrannie monolithique ; il est déterminé à nous détruire. La menace qu’il fait peser sur la liberté n’est pas seulement militaire, mais aussi politique, idéologique, et économique. Ce n’est pas un problème seulement limité à l’Europe ou à l’Occident, mais un problème mondial. Nous devons être unis pour que nos politiques soient utiles sur tous les fronts et dans tous les secteurs.

Pour ces raisons, nous nous engageons mutuellement à nous soutenir les uns les autres, tels des amis fidèles qui partagent un même héritage spirituel et culturel [...]. Nous consacrons nos efforts au développement de notre alliance au sein d’une authentique Communauté Atlantique afin d’assurer la pérennité de ces concepts. Nous appelons nos gouvernements à entreprendre sans délais la mise en oeuvre de ces mesures pour établir une authentique Communauté Atlantique, dont les cinq premières ont été unanimement recommandées par la Convention Atlantique des nations de l’Otan à Paris, en janvier 1962.
1. Établir une commission gouvernementale sur l’Unité Atlantique qui rédigera une Charte pour une Communauté Atlantique convenablement organisée en vue de faire face aux défis de notre époque.
2. Créer un Haut Conseil permanent qui devra intervenir dans les cas définis par un vote à la majorité pondérée concernant les questions d’intérêt commun.
3. Développer la conférence parlementaire de l’Otan dans le cadre d’une assemblée consultative pour qu'elle puisse réviser les travaux de toutes les institutions atlantistes, et leur faire des recommandations.
4. Instituer un partenariat commercial entre la Communauté Économique Européenne et l’Amérique du Nord, socle pour Communauté Économique Atlantique, mais ouverte à toutes les autres nations du monde libre.
5. Établir une Haute Cour de Justice de l’Atlantique pour résoudre les problèmes qui peuvent intervenir dans les traités.
6. Promouvoir des mesures pour assurer une défense plus efficace, incluant le développent d’un commandement Atlantique unifié ; une stratégie commune à l’intérieur comme à l’extérieur de la région Atlantique ; une plus grande standardisation ainsi qu’une production plus rationelle des armes et des équipements ; des contributions à la défense équitablement réparties entre nos pays respectifs.
7. Soutenir et étoffer l’Atlantic Institute pour en faire un centre intellectuel et spirituel de la Communauté Atlantique.

Ce n'est que par cet effort d’union et d’intégration que nous pouvons fournir, à l’échelle requise, une aide économique, ainsi que des marchés pour les pays en développement.

Inspiré par les réalisations que nos nations ont accompli par le passé, nous pouvons suivre un destin glorieux en joignant nos forces présentes. »

Les signataires sont nombreux. Citons tout de même les noms les plus prestigieux : les Américains William L. Clayton, William H. Draper, Henry Ford II, Henry Kissinger, Robert P.Patterson, Elmo Roper, Clarence K. Streit ; le britannique Sir Julian Huxley ; le prince Bernhard des Pays-Bas ; les Français Maurice Allais, Raymond Aron, Valéry Giscard d'Estaing, Edmond Michelet, Guy Mollet, Paul Reynaud, Jules Romain, Jacques Rueff, Maurice Schuman ; les Canadiens Lester Pearson et Paul Martin ; le belge Paul Van zeeland. (Vous trouverez tous les noms dans le second document joint).

Conclusion :

Comme nous l’avons rappelé plus haut, si la guerre froide et l’existence d’un camp socialiste ont permit aux atlantistes de créer l’Otan, et d’esquisser les premiers traits d’une union intercontinentale, c’est seulement après l’effondrement de l’empire soviétique que l’Europe et l’Amérique ont épousé pleinement les principes du fédéralisme atlantique. Les deux Déclarations que nous venons d’étudier ont en quelques sortes préparé le terrain. Aujourd’hui, face à la menace du « terrorisme international » et l'émergence de nouvelles puissances telles que la Chine, l’Inde ou la Russie, l’Occident - mené par les États-Unis - travaille à l’élaboration d’une union euro-américaine complète, sans qu'aucun citoyen n'en soit informé par les médias et la presse officiels. À l'instar de l'Accord Multilatéral sur l'investissement (AMI), il nous faut absolument adopter la « stratégie de Dracula », consistant à mettre au jour l’existence et le contenu des textes relatifs à ce projet dans la mesure où placé en pleine lumière, le vampire perd son pouvoir et meurt [2].

Notes :

[1] Voir notre article sur la Déclaration de Paris de janvier 1962 : http://theorie-du-tout.blogspot.com/2010/12/la-declaration-de-paris-janvier-1962-la.html

[2] DE BRIE C. (1998), Comment l’AMI fut mis en pièces, Le Monde Diplomatique, mars, p. 21.

BOUNOUA Samy.

Documents joints :

- Declaration of Atlantic Unity, Freedom & Union, Octobre 1954 :

- 242 NATO Leaders Sign Declaration of Atlantic Unity,
Freedom & Union, Janvier 1963 :

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