jeudi 17 juin 2010

[Billet] La directive "Services" : Un peu d'ordre dans la contestation.


A noter que je ne suis pas juriste, et donc ce qui est dit ici n'engage que moi et ce que j'ai compris du long travail de lecture de tout ces textes.

On remet souvent en cause ce qui arrive de Bruxelles jusque dans le parlement national. Si souvent, que des fois cela devient systématique. Mais on se souvient d’une directive en particulier. Quand vous demandez à un citoyen de vous citer une directive européenne connue, pour sûr, il vous répondra « Directive Bolkestein ! ».
Mais oui ! Rappelez-vous de cette directive, qui avait créé un véritable débat lors du Référendum pour le Traité de Constitution Européenne (en 2005). On avait notamment pris l’exemple du plombier polonais.

Pour expliquer ce que c’est : La directive « services » (dite « Bolkestein », du nom du commissaire qui l’a proposé) avait pour but d’organiser la « libre prestation de services » au sein de l’Union Européenne, permettant ainsi de donner réalité au principe de l’article 49 du traité de Communauté Européenne. Elle prévoyait entres autres, qu’un acteur qui délivre un service dans un état membre peut décider de respecter non pas la loi et les règlements du pays dans lequel il délivre le service, mais les lois du « pays d’origine ». D’où la légende urbaine du Plombier Polonais qui viendrait travailler en France, mais en respectant les lois polonaises, lui permettant ainsi de travailler pour moins du SMIC par exemple, plombant ainsi la compétitivité des plombiers Français.

Les initiés verront ici la marque effroyable de l’AGCS. En effet, le but de la directive « services » est aussi de mettre au pas les Européens quant à l’application de cet accord international majeur qu’est l’ « Accord Général pour le Commerce des Services ».

L’émoi suscité en France et dans d’autres pays d’Europe Occidental (et qui notamment beaucoup aidé la cause du « non » au référendum) a permis de faire reculer la commission, qui a promis de retravailler le texte en y supprimant toute référence au principe dit du « pays d’origine ».

Et alors ? Que s’est-il donc passé depuis ? C’est l’objet de cet article : Qu’est devenu la directive « Services » ? Garde-t-elle une notion de pays d’origine ? Est-elle active au sein des états de l’Union ? Ou reste-t-elle une directive qui flotte dans l’univers bureaucratique de Bruxelles ? Enfin, quel sera l’effet de cette directive sur les salariés Français ?

1       Bolkestein est mort, vive Bolkestein !

Si la directive Bolkestein[1] a été retoquée lors de la ratification du TCE en 2005  face à la colère des peuples et de certaines personnalités politiques, les commissaires et les instances de Bruxelles n’en avaient pas réellement fini avec la « libre prestation de services ». En effet, cette notion qui est invoquée par l’article 49 du traité de CE n’est toujours pas réellement réglementée au niveau Européen.
C’est donc le commissaire Mac Creevy qui la fera renaitre, en prenant bien sûr bien soin de ne pas le faire trop brusquement. La commission a bien compris que la notion de « pays d’origine », qui permet à un prestataire de service de choisir les règlementations de son choix (celle du pays dans lequel il délivre le service ou celle du pays dans lequel se trouve son siège social), faisait trop peur aux gens. Il a donc pris soin de ne pas l’utiliser au sein de cette refonte de la directive Bolkestein.
Lorsque cette directive est apparue, on en n’a pas beaucoup parlé. Certains blogs et sites ouvertement Eurosceptiques en parlaient, en mal bien évidemment.
Comment démêler le vrai du faux ? En lisant les directives et leurs articles complexes, et en lisant aussi d’autres documents qui sont à côté.

2      La directive « services[2] » 

C’est simplement l’expression concrète d’une notion vague : La libre prestation de services au sein de l’Union Européenne ;
Que dit-elle ? Elle spécifie les modalités d’installation d’un prestataire de services au sein d’un autre état membre que celui où ce prestataire a son siège social. En effet, il fallait harmoniser les règlements européens pour permettre réellement la facilité d’installation d’une filiale au sein d’un état membre.
Elle a un impact direct sur toute activité de services !

2.1        Qu’est-ce qu’une activité de services ?

Si certains se demandent ce qu’est une « activité de services », voici une définition assez claire et concise de Wikipédia[3] :


Un service est une production économique qui « se caractérise essentiellement par la mise à disposition d'une capacité technique ou intellectuelle »1 et non par la fourniture d'un bien tangible à un client. Ainsi, la production de services ne se fait pas au moyen d’usines, et la consommation de biens intermédiaires est plus réduite que dans le secteur secondaire.
En ce sens, un coiffeur, un cabinet d'avocat, un hôpital, un restaurant, un commerce, une entreprise de transport ou une banque ne produisent pas des biens mais des services.
Le secteur des services est généralement dénommé « secteur tertiaire ».
En effet, on parle plus de « secteur tertiaire », le secteur primaire représentant l’agriculture, le secondaire représentant au sens large l’industrie ou la fourniture de « biens ».
Ce qui veut en fait dire que tout ce que vous faites, du premier geste de la journée (qui consiste à allumer la lumière, mais aussi à prendre votre douche, à prendre les transports en commun ou à téléphoner), jusqu’au dernier geste de la journée (comme la lecture de mails ou encore le visionnage d’un film à la télévision), est subordonné au secteur tertiaire et donc, à cette directive.

2.2      Ce qu’elle dit

Elle explique simplement que les barrières « non-nécessaire » à l’installation d’une société de services dans un état membre doivent tomber.
Comme l’explique bien le manuel officiel relatif à la mise en œuvre de la directive « services »[4], page 39, partie « 7.1.2. Portée et effet de la clause de libre prestation de services » (c’est un peu long, mais c’est édifiant, je vous conseille réellement de lire ce passage !) :

L’article 16 établit la liberté de fournir des services transfrontaliers sans restriction injustifiée. Il constitue l’une des pierres angulaires de la directive «services» et s’applique à tous les services relevant du champ d’application de la directive, à l’exception des services ou matières visées à l’article 17.
L’article 16 exige que les États membres s’abstiennent d’imposer leurs propres exigences aux prestataires d’autres É tats membres, hormis lorsque les quatre raisons énumérées à l’article 16, paragraphes 1 et 3, le justifient. Cela signifie que les exigences que les États membres peuvent imposer aux prestataires entrant sur leur territoire sont limitées. Ceci s’applique à toute forme d’exigence, quel que soit le type ou le niveau de la législation en question ou les limites territoriales à l’intérieur desquelles une règle nationale s’applique. E n conséquence, les prestataires sauront qu’ils ne seront pas soumis à la législation de l’État membre où le service est fourni, hormis les cas où son application est justifiée par les quatre raisons énoncées à l’article 16, paragraphes 1 et 3 (ou lorsque la législation concernée est couverte par une dérogation prévue à l’article 17).
Contrairement aux autres articles de la directive, tels que l’article 14, l’article 16 n’impose pas, en principe, aux É tats membres de supprimer les exigences existantes, mais les oblige uniquement à s’abstenir d’appliquer leurs propres exigences aux prestataires établis dans d’autres É tats membres. L ’article 16 n’empêche pas les É tats membres de continuer à maintenir leurs exigences pour leurs opérateurs nationaux. Il pourrait toutefois se révéler nécessaire de modifier les règles nationales afin de supprimer les exigences spécifiquement destinées aux prestataires établis dans d’autres États membres.
Pour ceux qui n’auraient pas bien compris, la directive limite les exigences que les états membres peuvent imposer à des prestataires de services établis dans un autre état membre. Mais on remarque tout de même, que certaines exigences sont exclues du champ d’application de la directive. Ces mesures se trouvent dans l’article 17 de la directive.
Pour résumer, le manuel officiel explique clairement que l’état Français par exemple, doit s’abstenir de donner des exigences « non  justifiées » à un prestataire de service établit ailleurs. Il peut (s’il le souhaite) garder ces exigences en place pour ce qui concerne les acteurs nationaux (trop aimable !).
Regardons donc de plus près de quoi on parle.


2.3      L’article 16 de la directive

L’article 16 de la directive se nomme : « Libre prestation de services ». Il donne les modalités de traitement d’un prestataire de service dans un état membre dans lequel il n’est pas établit.
Le point 1 explique les exigences que l’état membre ne pourra pas imposer aux prestataires les exigences suivantes :
·         La partie a) : Il ne pourra pas faire de discrimination en raison de la nationalité du prestataire ;
·         La partie b) qui est la plus intéressante dans notre cas : Il pourra imposer des exigences uniquement si celles-ci sont justifiées par ce que l’on appelle des règles « impérieuses ». Celles-ci sont :
o    L’ordre public ;
o    La sécurité publique ;
o    La santé publique ;
o    La protection de l’environnement ;
·         La partie c) : « Proportionnalité ». L’état membre s’abstiendra de faire peser une exigence qui irait plus loin que nécessaire. Par exemple, il est nécessaire qu’un pot de peinture ne contienne pas plus de 15mg de plomb disons. Mais l’état Français, un peu pointilleux décide qu’il ne faut pas qu’il y’en ait plus de 5mg. Un prestataire étranger pourra expliquer que l’exigence n’est pas proportionnelle, et pourra donc utiliser un pot de peinture contenant 15mg au lieu de 5mg comme le préconisait l’état ;
Notons, pour la partie b) qu’est reconnue (selon l’article 4 de cette même directive) raison impérieuse d’intérêt général, « toute raison reconnue comme telle par la Cour de justice » (Européenne).
La page 35 du manuel officiel de mise en œuvre de la directive explique de plus :

Comme mentionné ci-dessus, des raisons économiques telles que la protection des concurrents ne constituent pas, selon la jurisprudence de la C our de justice, une raison impérieuse d’intérêt général et ne pourront dès lors justifier l’imposition d’une exigence restrictive. L es É tats membres devront également évaluer, au cas par cas, si l’objectif poursuivi par l’exigence en cause ne peut pas être atteint par des mesures moins contraignantes.
Autrement dit, c’est la Cour Européenne qui dit si une raison impérieuse avancée par un état est justifiée ou non. De plus, la directive invite les états membres à rendre les règles « plus souples ».  Ce qui est pour le moins étonnant, alors qu’on entend aujourd’hui plus que jamais, parler en mal de la « dérèglementation ».
On fustige la dérèglementation au niveau financier, on comprend que cela est mal et que les acteurs sont trop égoïstes et avides pour que le système tourne bien … Par contre dans les faits, le secteur tertiaire est ouvertement appelé à se « déréglementer ».
Le point 2 est extrêmement important aussi. Il explique que les états membres ne peuvent pas imposer les exigences suivantes :
·         La partie a) : L’obligation pour le prestataire d’avoir un établissement sur le territoire ;
·         La partie b) : « l’obligation pour le prestataire d’obtenir une autorisation de leurs autorités compétentes, y compris une inscription dans un registre ou auprès d’un ordre ou d’une association professionnels existant sur leur territoire, sauf dans les cas visés par la présente directive ou par d’autres instruments de la législation communautaire »;
Ce point est important, je vais prendre un exemple au hasard : Imaginons qu’en France, il soit interdit à un coiffeur de s’installer sans avoir reçu l’autorisation de l’autorité des coiffeurs Français, cela est proscrit par la directive. Si en France, le coiffeur doit s’inscrire dans le « Registre National de la Coiffure » avant de pouvoir exercer, cela ne doit plus être le cas ;
·         La partie c) : On ne pourra pas interdire à un prestataire externe d’obtenir une forme d’infrastructure (un local, un bâtiment) sur le territoire ;
·         La partie d) : on ne pourra imposer « l’application d’un régime contractuel particulier entre le prestataire et le destinataire qui empêche ou limite la prestation de service à titre indépendant »;
·         La partie e) : on ne pourra imposer « l’obligation, pour le prestataire, de posséder un document d’identité spécifique à l’exercice d’une activité de service délivré par leurs autorités compétentes »
Toujours pour le coiffeur, on ne peut pas l’empêcher de s’installer si il le souhaite, même si il n’a pas reçu son document d’identité de la part du « Centre National de la Coiffure »;
·         La partie f) : L’état membre ne peut restreindre l’utilisation d’équipements jugés nécessaires à l’accomplissement du service, hormis si cela tombe sous le coup de la sécurité et de la santé publique ;
En d’autres termes, un roumain peut décider d’utiliser un tracteur qui fait un boucan d’enfer, et qui serait interdit en France, vu qu’il ne touche ni à la sécurité publique, ni à la santé publique par exemple ;
·         On va s’arrêter là pour aujourd’hui.


2.4      L’article 17 de la directive

L’article 17 donne des dérogations à l’article 16. Il spécifie donc les domaines et matières dans lesquels l’état a le droit d’imposer des exigences aux prestataires.
Le point 1 explique (heureusement) que l’article 16 n’a pas cours pour les « services d’intérêt économique général » comme :
·         Le secteur postal ;
·         Le secteur de l’électricité ;
·         Le secteur du gaz ;
·         Les services de distribution, de fourniture, et de traitement de l’eau ;
·         Le secteur des traitements des déchets ;
Le point 2 explique qu’on peut aussi inclure les matières couvertes par la directive 96/71/CE.
L’article 17 contient aussi beaucoup d’autres points à lire si vous êtes intéressés.
Nous avons donc vu que l’on peut quand même exiger certaines choses aux prestataires qui voudraient s’installer dans un état membre. On voit notamment que l’article 16 (qui explique ce que l’état n’a pas le droit d’imposer) ne couvre pas les matières décrites dans la directive 96/71/CE[5].
Il est vrai qu’à ce stade, on se demande si, par exemple, le SMIC, ou la durée de 35 heures par exemple sont obligatoires pour les prestataires.
Allons donc voir cette directive de plus près …

2.5       La directive 96/71/CE 

Cette directive éditée au journal officiel le 21/01/1997 explique les modalités d’accueil de ce que l’on appelle les travailleurs « détachés ». Elle ne s’applique donc pas dans les contrats passés avec les travailleurs de l’état membre, mais ceux qui viendraient offrir leurs services en provenance d’un autre état.
L’article premier explique à qui s’adresse cette directive. Elle stipule qu’elle s’applique aux entreprises qui feraient appel à un travailleur détaché.
L’article deux donne les définitions. On entend par travailleur détaché « tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d'un État membre autre que l'État sur le territoire duquel il travaille habituellement » (Oui, on parle bien du fameux plombier polonais par exemple).
Enfin, l’article qui nous intéresse est ici l’article trois.  Il explique que les états doivent veiller à ce que certaines dispositions soient respectées par l’entreprise qui fait venir ce travailleur détaché.  C’est précisément de cet article que parle l’article 17, point 2 de la directive « Services » et qui exprime les exigences que l’état pourra (et même devra) imposer au prestataire de services.
L’état doit, selon cet article, veiller à ce que l’entreprise respecte les législations prises « de manière législatives, réglementaires ou administrative » quant au statut et au traitement du travailleur détaché. Même mieux ! L’état veille aussi à ce que cette entreprise assure au travailleur détaché les dispositions prises par « des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale » concernant les points suivants :
a) les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos;
b) la durée minimale des congés annuels payés;
c) les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires; le présent point ne s'applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels;
d) les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire;
e) la sécurité, la santé et l'hygiène au travail;
f) les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d'emploi des femmes enceintes et des femmes venant d'accoucher, des enfants et des jeunes;
g) l'égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d'autres dispositions en matière de non-discrimination.
Aux fins de la présente directive, la notion de taux de salaire minimal visée au second tiret point c) est définie par la législation et/ou la pratique nationale(s) de l'État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché.
Et bien il semble que toutes les précautions soient prises … Il n’est pas question de toucher au SMIC par exemple. Du moins … En France.


3      Entracte

Comme je vous comprends ! Tout ceci est des plus complexes. Bienvenue à Bruxelles !
On a néanmoins compris beaucoup de chose à l’éclairage de ces deux directives.
La directive services, qui spécifie les modalités d’installation et de prestation de services au sein de l’Union Européenne, explique dans son article 16, que les états ne peuvent imposer certaines exigences à un prestataire « étranger ». A la lecture de cet article 16 et de ce qu’un état n’a plus le droit d’imposer, cela fait froid dans le dos.
Heureusement l’article 17 n’est pas loin, et explique, que bien entendu, l’état a encore son mot à dire dans beaucoup de domaines ! Il explique notamment que l’état doit veiller à ce que le prestataire de services applique les règles définies par la directive 96/71/CE.
Cette directive énonce les modalités d’accueil d’un travailleur « détaché » et les règles qui s’appliquent à son contrat de travail. On peut y lire que les contrats sont réglementés par les mesures législatives, réglementaires (retenez bien le mot « réglementaire », il vous servira pour plus tard), ou administrative. Mieux, le prestataire sera obligé de suivre les mesures prises par des conventions collectives d’application générale concernant par exemple le taux de salaire minimal.
On peut donc désormais exclure le SMIC de ce débat, mais on peut de plus comprendre que les salaires minimaux précisés par les conventions collectives seront respectés, puisqu’en France, une société n’a pas le droit de signer un contrat sans que celui-ci soit affilié à une convention. Par exemple, pour le domaine informatique, la convention que l’on connait le mieux est celle prescrite par le SYNTEC. Celle-ci spécifie les salaires minimaux selon les postes, le niveau d’étude, d’expérience etc.
Par contre vous l’aurez compris, l’Etat vient de perdre tout pouvoir sur les sociétés de services dans de très nombreux domaines. On a donc limité énormément les possibilités d’intervention des états au sein de l’économie du secteur tertiaire, ce qui est, soyons clair : la définition exacte du libéralisme économique.
Mais toute cette histoire va beaucoup plus loin.

4      C’est la Cour de justice qui décide

On a eu à faire à plusieurs moments lors de la lecture de ces directives à la « Cour de justice » (sous-entendu : Européenne). En effet, c’est elle, et les jurisprudences qu’elle énonce, qui sont garants de l’harmonisation du droit au sein de l’Union Européenne. Elle traite les litiges au niveau Européens.
On sait qu’elle a déjà autorisé certaines pratiques de dumping social. En effet, plusieurs arrêts qu’elle a pris autorisent des travailleurs détachés à ne pas être payés correctement et à ne pas respecter les conventions de branches en place dans certains états membres.
L’arrêt Viking[6] par exemple, donne raison à l’entreprise Viking Line au nom de la « liberté d’établissement ». En effet, cette société avait à l’époque, changé le pavillon de son ferry, le faisant passer du drapeau suédois, au drapeau estonien. Ainsi l’équipage du ferry a été payé au salaire estonien.
L’arrêt Laval[7] a été donné par la Cour de Justice, qui devait statuer entre une société de bâtiment lettonne qui employait des travailleurs lettons 45% moins cher que les conventions collectives décidées en Suède, et un consortium de syndicats suédois qui avait protesté. La cour a donné raison à la société Laval au nom de la « libre prestation de services ».
L’arrêt Ruffert[8], lui, donne raison à une entreprise polonaise, qui payait ses ouvriers polonais 46% du salaire minimal Allemand, alors qu’ils travaillaient en Allemagne. La Cour a jugé que payer des salaires conformes aux conventions collectives constitue un obstacle à l’accès au marché pour les sociétés d’autres Etats membres.
Autrement dit, la Cour de Justice est hautement qualifiée pour autoriser des pratiques qui semblent déloyales et qui handicapent les travailleurs.
Malgré cela, la France est un cas à part de la Suède et l’Allemagne. En effet, une grande partie du droit du travail est sous la coupe de ce que l’on appelle les « lois de police ». Une loi de police est une règlementation que le juge locale trouve indispensable. De plus, à l’inverse de la Suède et de l’Allemagne, en France, aucune société ne peut s’installer et signer un contrat qui ne serait pas affilié à une convention collective. Les trois arrêts que l’on vient d’énumérer n’ont donc pas de sens en France puisque la société n’aurait pas eu le droit de faire ce qu’elle a fait en Suède ou en Allemagne.
Malgré cela, beaucoup d’avancées et de percées sont faites par les entreprises qui décident néanmoins d’outrepasser ces règles. On peut citer quelques exemples :
-          32 électriciens slovaques en sous-traitance dans une entreprise de robotique près de Rouen et payés deux fois moins chers que les salariés français. (Paris Normandie, 28 juin 2008) 

-          Une entreprise de plomberie polonaise (avec des salariés payés au tarif polonais) sous-traitante d’une entreprise vosgienne pour l’extension immobilière d’une station de ski. (L’Est Républicain, 2 octobre 2008) 

On peut se demander combien de temps la règlementation française tiendra le coup face à tous ces arrêts pris par la Cour de justice.


5      Les règlements dits « Frattini » (Rome I)

En 2008, un règlement va venir influer sur tout ce que je viens de vous dire. En effet, jusqu’à maintenant, on a bien compris qu’il n’est pas vraiment question d’appliquer complètement les lois du pays d’origine du travailleur ou du prestataire de services, bien que certaines pratiques de Dumping Social aient été remarquées dans les différents états de l’Union.
Il faut comprendre qu’un règlement est une réglementation qui est décidée par la commission, et qui est applicable et invocable dans n’importe quel tribunal de l’Union Européenne, autant à Dublin, à Londres, à Frankfort, qu’à Marseille et Lille.
Ainsi le règlement n° 593/2008[9] (dit « Règlement Frattini » du nom du Commissaire qui l’a officialisé) se charge de « moderniser » la convention de Rome sur les contrats transnationaux, et notamment les contrats de travail.
Il bouleverse réellement la donne, puisqu’il  explique dans son article deux qu’il applique le « principe d’universalité » (ça sonne très joliment), ce qui veut dire qu’il ne s’applique pas seulement aux contrats passés avec les travailleurs européens, mais avec les travailleurs du monde entier. Après le plombier polonais, place au plombier indien.
Dans l’article trois, il énonce la « liberté de choix » : « Le contrat est régi par la loi choisie par les deux parties […] Par ce choix, les parties décident de la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement du contrat ». Cela veut dire en clair qu’un employeur Français peut faire venir un indien, et ensemble, ils vont décider si ils veulent appliquer la loi indienne ou française.
Il ajoute : « Les parties peuvent convenir à tout moment de faire régir le contrat par une loi autre que la loi qui le régissait auparavant » ; En clair, si on commence avec un contrat sous loi Française, on peut changer ceci à n’importe quel moment.
L’article quatre, paragraphe 1) b) explique qu’à défaut de choix, c’est la loi du pays d’origine qui s’applique. Autrement dit, si le demandeur (patron, société Française) et le prestataire ne décident de rien, c’est la loi du pays d’origine (dans notre exemple, la loi indienne) qui régira le contrat.
Tous ces principes sont rappelés dans l’article 8 (« Contrats individuels de travail »).
Et alors vous me direz : « En France, une grande partie du droit du travail est soumis aux règles de police ! ». Et vous aurez raison. En d’autres termes, tant que l’application générale des conventions n’est pas touchée en France, il n’est pas question de déroger aux salaires minimaux conventionnés, et encore moins au SMIC par exemple ou à toute autre disposition qui relèverait de ces « lois de police ».
Pour être objectif une seconde et donc sans arrières pensées pro ou anti européennes : Nous, Français, ne sommes pas menacés pour l’instant par des salariés détachés qui pourraient être payés moins que ce que le demandent les conventions collectives.


6      Et si on mélange tout ceci ?

Et bien voilà, nous avons d’un côté un règlement applicable dans n’importe quel tribunal qui explique noir sur blanc que rien n’empêche une société d’embaucher un travailleur détaché avec pour loi s’appliquant au contrat qui les lie, la loi du pays d’origine du travailleur.
D’un autre côté, nous avons une directive « services » qui explique que les raisons impérieuses d’ordre public doivent être réformées si possible, de manière à restreindre le moins possible la prestation de services transfrontaliers. La directive nous apprend aussi que c'est la Cour de justice qui décide que telle ou telle disposition nationale est « trop contraignante » ou pas.
Donc la question à poser à nos gouvernements est celle-ci : Saurez-vous résister ? Et jusqu’à quand les élus Français arriveront à faire accepter telle ou telle disposition à la Cour de justice, alors que celle-ci n’aura de cesse (de par les demandes des sociétés de services) que de demander des comptes quant à la validité et à la nécessité de ces dispositions ?
En conclusion, il serait faux de dire que l’état n’a plus du tout la main sur les entreprises (multinationales). Par contre il serait faux de dire qu’il va continuer comme ça.
Il faut rappeler par ailleurs que les services sociaux relevant de partenariats public/privé (crèches, transports en commun, cantines municipales, et toute sorte de services sociaux) ne sont pas à l’abri, comme l’explique une communication de la commission du 26 avril 2006[10] : Dans l’esprit et la lettre, ces services « continueront de relever des règles et principes de la concurrence ».
Et enfin il faut aussi comprendre que les dispositions relatives à la libéralisation des services seront passées en revue dès 2011 par la commission, puis ensuite tous les trois ans, en vue de voir si il est possible « d’aller plus loin encore ».
En d’autres termes, si aujourd’hui, l’état garde encore un minimum la main, qui pourra empêcher la commission et le parlement dès 2011 de décider de certaines « améliorations » de cette directive, qui auront pour but d’assouplir encore et encore la liberté de prestation de services au sein de l’Union Européenne ?
Il faut que les gouvernants et les élus prennent conscience de ce qui est en train de se passer, et de ce qu’ils doivent défendre à tout prix. En effet, si l’on tien à rappeler les rapports de force au sein de l’Union Européenne, notons que les Français ne sont que 10% du parlement, et n’ont donc, pas la puissance et le poids nécessaire pour empêcher d’autres modifications que voudraient adopter les 26 autres états.


7      Ressources

·         L’Humanité (22/01/2010) – « Silence, la France transpose la directive Bolkestein » :http://www.humanite.fr/2010-01-22_International_Silence-la-France-transpose-la-directive-Bolkestein
·         L’Observatoire de l’Europe – « Comment on a réveillé Bolkestein » : http://www.observatoiredeleurope.com/Comment-on-a-reveille-Bolkestein-le-document-qui-accuse_a1175.html
·         « Bolkestein, Silence, on contourne ! » : http://www.metiseurope.eu/bolkestein---silence-on-contourne-nbsp-----_fr_70_art_28097.html
·         Euractiv – « La France publie son rapport sur la transposition de la directive services » :  http://www.euractiv.fr/europe-sociale/article/france-publie-rapport-transposition-directive-services-002428
·         Euractiv – « Affrontements à l’Assemblée Nationale sur la place des services sociaux dans la directive services » :  http://www.euractiv.fr/europe-sociale/article/affrontements-assemblee-nationale-sur-place-services-sociaux-directive-services-002406
·         Euractiv – « La France en retard dans la transposition de la directive Services » :  http://www.euractiv.fr/europe-sociale/article/france-en-retard-transposition-directive-services-002397
·         Euractiv – « Le Sénat ignore la révision du statut des travailleurs détachés » :  http://www.euractiv.fr/europe-sociale/article/senat-ignore-statut-travailleurs-detaches-002313
·         Euractiv – « Les syndicats inquiets après l’arrêt de la Cour sur les travailleurs détachés » :  http://www.euractiv.fr/europe-sociale/article/syndicats-inquiets-arret-cour-travailleurs-detaches-00583
·         Le point de vue de la Fédération Syndicale Européenne des Services Publiques :  http://www.epsu.org/a/1850
·         Rapport d’informations du Senat (par Jean Bizet) :  http://www.politis.fr/IMG/pdf/r08-4731.pdf
·         Moulinier – « Directive Services, un passage en catimini par une loi fourre-tout » :  http://www.moulinier.info/article-directive-service-bolkestein-un-nouveau-rebondissement-en-catimini-41255736.html
·         Politis – « Modalités de la transposition en France » : http://www.politis.fr/On-vous-a-annonce-le-retour-de-la,7444.html


[3] Définition Wikipédia pour « Service » : http://fr.wikipedia.org/wiki/Service_(économie)
[4] Manuel relatif à la mise en œuvre de la directive « services » (PDF) : http://www.observatoiredeleurope.com/attachment/143138/

2 commentaires:

  1. Il faudrait expliquer à tous les ouvriers que si leurs salaires n'augmentent pas, c'est parce que l'Union européenne les met en concurrence directe avec des pays ou l'écart entre les salaires varie de 1 à 60 pour la Chine d'une part, mais aussi de 1 à 6 dans certains PECO. Lorsque Ricardo évoquait le libre échange, les écarts sur les salaires variaient de 1 à ... 2 !
    Les eurocrates ultralibéraux (si l'on m'autorise ce pléonasme) ont récupéré les théories ricardiennes de libre-échange tout en prenant le soin de faire fi des composantes de l'époque. Notamment le salaire. Il en va de même avec la concurrence, ou Smith disait qu'il valait mieux la coopération que la concurrence.

    RépondreSupprimer
  2. Bientôt, ce sont les salariés du monde entier qui seront en concurrence non pas au sein de leur entreprise en chine ou ailleurs, mais simplement là où le marché en aura besoin.

    Je ne sais pas si tu connais, mais je te conseille de regarder sur le blog tout ce qui touche à l'AGCS. Je te promet qu'on en ressort changé.

    http://theorie-du-tout.blogspot.com/search/label/AGCS

    RépondreSupprimer